L’ERP se positionne naturellement comme la colonne vertébrale des sociétés de service. Deux experts reviennent sur ce qu’il est possible d’attendre d’une solution « métier » intégrée et détaillent l’intérêt des nouvelles logiques collaboratives.
En tant qu’éditeur de logiciel spécialiste des sociétés de service en gestion par affaires, quelles évolutions vous ont le plus marqué chez leurs Directeurs Administratifs et Financiers (DAF), ces dernières années ?
Loïc Pelletier : Le point le plus notable est la diffusion de la notion de fast closing. Faire des arrêtés complets pour sa société très rapidement était rare il y a 10 ans, aujourd’hui c’est devenu un impératif pour de nombreuses structures.
Jean-Baptiste Sachot : Les Directeurs Financiers des sociétés de service ont pendant des années été obligés d’utiliser des ERP dits
« généralistes » conçus pour l’industrie et/ou utiliser des solutions logicielles qui dissociaient la gestion comptable et financière de la gestion opérationnelle.
En quoi était-ce problématique ?
JBS : Disposer d’un outil adapté à son métier et à ses usages permet d’éviter la mise en place de systèmes de gestion parallèle dans Excel® et permet donc de fiabiliser la qualité des données saisies. Disposer d’une gestion intégrée permet au Directeur Financier d’assurer plus facilement la cohérence entre données financières et les données opérationnelles notamment lors des phases de reconnaissance des charges et du chiffre d’affaires. Disposer d’un système de gestion unique, permet de décloisonner tous les services, de faciliter le dialogue interne, et de décider plus rapidement et de manière sereine sur les actions à mener.
LP : Concrètement, cela a un impact sur la capacité du DAF à réaliser un closing rapide. C’est une question très intéressante à se poser pour discerner la maturité de son organisation : « Combien de temps faut-il au minimum pour faire un arrêté ? ». La mise en place des bons processus et des bonnes méthodologies, qui s’appuieront intelligemment sur les hommes, permettront l’usage efficace d’un ERP métier pour gagner du temps.
Avoir une approche « intégrée » est donc synonyme de rapidité ?
JBS : La majorité des sociétés de service que nous rencontrons en avant-vente font face à la même problématique : des données disparates, des re-saisies de données multiples, de trop nombreuses interfaces et une gestion analytique approximative. Ces dernières recherchent donc une solution intégrée, où la donnée n’est saisie qu’une seule fois par celui qui en est le plus proche et qui peut être lue et exploitée en temps réel et en fonction de ses droits, par tous les acteurs de l’entreprise. La notion d’affaires doit être au coeur du système d’information sur lequel s’appuie la gestion analytique . Tous les objets de gestion (produits et charges) doivent obligatoirement être imputés à une affaire (devis, commande, factures, planning et temps passés, écritures comptables... ). La gestion des arrêtés doit être automatisée et sécurisée. Ainsi, les écritures comptables permettant la reconnaissance des produits et des charges, affaire par affaire, doivent être générées automatiquement à l’issue d'un processus collaboratif entre les opérationnels et les financiers. Une fois l’arrêté finalisé, il doit être impossible de modifier les éléments de gestion qui en sont en l’origine… On doit donc par exemple pouvoir saisir des « OD » de temps passés pour transférer de la main d’oeuvre d'une affaire vers une autre. Un outil de gestion intégré conçu pour le pilotage d’une société de service structurée par affaires facilite et sécurise le « fast closing ». C’est indéniable.
« Il faut tendre vers l’intuitif… tout en se refusant de sacrifier la complétude fonctionnelle de l’outil »
Le contexte économique a évolué, la culture de beaucoup d’entreprises également. Qu’en est-il des outils dédiés aux sociétés de service ?
LP : De manière générale, les ERP généralistes ont eu tendance à se
« verticaliser » par secteur au travers de leurs intégrateurs. Toutefois, nous notons une différence entre ces outils génériques qui ont subi des ajouts successifs de surcouches spécifiques pour tenter de gagner en pertinence et l’apparition d’outils réellement « verticaux », conçus dès la première ligne de code pour répondre aux enjeux d’une activité. Cela a par exemple été notre parti-pris pour les sociétés de service structurées par affaires, avec l’idée de leur consacrer notre « ADN technologique ».
JBS : Malheureusement pour nous éditeurs, toutes les sociétés de service n’ont pas les mêmes problématiques de gestion opérationnelle. Un éditeur de logiciel, un bureau d’étude et un centre de formation continue par exemple, ont des besoins très différents.
Un éditeur qui se spécialise dans le pilotage des sociétés de service doit en plus faire le choix de se spécialiser sur un ou plusieurs métiers. De nombreux éditeurs ont fait ce choix. Les sociétés de service ne sont donc plus obligées de se tourner vers les gros ERP généralistes et de dépenser des fortunes pour tenter de les adapter à leurs spécificités.
Mais les technologies elles-mêmes… ont-elles changé ?
LP : Une chose est sûre, le très traditionnel mode client-serveur est sur le déclin, au contraire des Interfaces Hommes Machines (IHM), intuitives et mobiles, et des architectures N-tiers orientées services (SOA). Derrière ces termes techniques se cachent des réalités qui touchent notre quotidien de gestionnaire. La première concerne les IHM : il ne s’agit pas juste de faire « beau » mais bien de répondre à un usage. L’intérêt de donner accès sur tablette à une comptabilité complète est somme toute limité. Par contre, donner à chaque collaborateur l’accès à la saisie de ses temps depuis une tablette ou un navigateur est gage d’efficacité. L’architecture SOA permet quant à elle un dialogue avec l’écosystème de l’entreprise (clients, fournisseurs, maison mère, groupe…) de manière sécurisée et en temps réel avec le système central.
Comment évaluez-vous la nécessité de dialogue entre DAF et opérationnels ?
JBS : La dimension collaborative est fondamentale et encore trop peu mise en oeuvre. La plupart des sociétés françaises sont basées sur un modèle hiérarchisé que l’on peut qualifier de 1.0 où les décisions se prennent d’en haut. Il sera par exemple demandé au chef de projet de donner ses taux d’avancement projet, sans pour autant donner du sens à cette information. Il est alors considéré comme un simple exécutant. Cela fait plusieurs années que nous évoluons vers des fonctionnements plus souples, où la confiance et la responsabilisation jouent un rôle central. Pour se mettre « en mode collaboratif », il faut concevoir le facteur humain comme clef de la réussite ; c’est une question de culture d’entreprise. Tout le monde dans l’organisation, du DAF à l’opérationnel, doit adopter cet état d’esprit
« collaboratif » : comprendre, apprendre, anticiper. C’est à partir de là qu’un ERP métier va devenir le pivot fondamental de cette nouvelle forme de gestion. Les collaborateurs feront ensuite vivre au quotidien ce que les fonctionnements 1.0 n’arriveront sans doute jamais à mettre en place.
Quels défis reste-t-il à relever ?
LP : L’ouverture toujours plus grande de l’ERP sur l’écosystème de l’entreprise est un travail permanent. Les ERP actuels sont performants, il leur faut étendre la collaboration au-delà de l’entreprise elle-même, vers les clients, les fournisseurs et les partenaires.
JBS : Nous devons tenir compte des nombreux usages numériques qui se sont imposés dans nos vies privées. Il faut donc tendre vers l’intuitif… tout en refusant de sacrifier la complétude fonctionnelle de l’outil qui est une exigence non négociable pour nos clients. Exercice de haute voltige, donc. En somme, il s'agit de rendre simples pour l’utilisateur, des réalités de gestion qui ne le sont pas forcément…